Une partie de chasse en pays Lobi
Hier, c'était la battue à Dofara à quelques encablures de Kampti. Dofara est un bas-fond très giboyeux. Et à cette battue, tous les chiens sont de la partie : les « soulamyas » (petits chiens rapides), les « kaloons » (chiens terriers), « les tchambés » (chiens éperviers), sont tous de la partie. Ce jour-là, entre chiens et gourdins, le singe surpris sur une branche videra ses entrailles, l'antilope et la biche les yeux fermés et la tête basse fonceront, le lièvre accablé de toute part butera sur un arbre et mourra, l'écureuil abandonnera son terrier, le hérisson s'enroulera, la perdrix après avoir fini de voler courra, les serpents siffleront…
Chaque année, à la battue de Dofara, les hommes connus les plus maladroits retournent toujours joyeux, la gibecière bien garnie. Je me rappelle encore la battue de cette année 199... Le soleil était au-dessus de nos têtes quand nous abordions une forêt clairsemée. Soudain, nous entendîmes :« Gnomblan dara na pièr, na pièr ... ta n'por ». Nos camarades chasseurs nous avisaient, nous, qui sommes à gauche d'eux, qu'ils venaient de lever une biche et que cet animal se dirigeait tout droit sur nous. Nous l'attendîmes donc, prêt à frapper quand nous l'apercevrons.
Le vieux Samedi était à nos côtés. Lui qui était si maigre et alcoolique, que pouvait-il faire devant une biche avec un gourdin à la tête de massue, sinon que de la regarder passer. "Cette biche appartenait à nous les jeunes, à nous les forts". Tel était ce que ce qui défilait dans ma tête et que je n'osais dire haut et fort à Samedi, car mon ainé. Cette attente dura quelques secondes et brusquement, l'animal apparu. Les gourdins pleurèrent ; les chiens hurlèrent. La bête ne fut pas touchée, du moins les coups qu'elle reçut ne lui firent rien. Elle fonçait maintenant droit sur nous. Je l'accueillis avec mon gourdin « passe-partout » qui alla se perdre dans un arbuste puis un deuxième « va tuer » qu'elle esquiva. Pendant ce temps, le vieux Samedi en retrait l'attentait ferme, impassible, confiant et sérieux. Par un geste rapide et précis, il lança son gourdin-massue avec force et dextérité. Le gourdin atteignit l'animal en pleine tête qui stoppa net sa course, chancela, flamba et s'écroula. Une clameur s'éleva :« Samedi kourè, Samedi a tué. » L'animal fut achevé, dépecé et partagé. La chasse continua son cours et fut très bonne. Longtemps encore, la biche de Samedi est restée et restera dans les esprits.
Pendant que je tournais et retournais cette partie de l'histoire, mes compagnons dégustaient un gros "rat voleur" tué hier à la chasse. S'il y a une personne que cet animal inspire de mauvais souvenirs, c'est bien Kontourè. Il se rappelle comme si c'était aujourd'hui même.
Ce jour-là, Kontourè se leva de bonne heure et parti chasser en solitaire. Il manqua de justesse par-ci des écureuils et leva par là un lièvre que son chien Nionyonoho (« ragot de Nionyora », un quartier de Kampti), au pied cassé, ne pu ramener mort. Il se résigna à ce qui se proposait le mieux à lui. Creuser le terrier d'un "rat voleur", terrier qui apparemment indiquait que celui vivait encore là. En effet, à la couleur des excréments et l'odeur des urines, Kontourè jugea que le rat à passer le seuil du terrier ce matin même. À défaut d'un lièvre, "un rat voleur" ferait bien une bonne soupe. À l'aide de sa daba, Kontourè creusa le terrier qui se dirigeait de plus en plus vers un karité. Avec l'assurance que la messe était dite pour la pauvre bête et que sa soupe s'offrait à lui à quelques mètres, Kontourè redoubla d'efforts et parvint maintenant au karité. Le tronc de l'arbre était creux, mais pas assez large. Il mit le bâton "fouineur" et fit un mouvement de va-et-vient dans le creux de l'arbre. Il sortit le bâton et constata que le bout était couvert de poils. Son visage s'éclaircit. Il est donc à côté. La messe est vraiment dite pour le pauvre animal pensait Kontourè. Comme il n'avait pas de machette pour creuser un peu le bois ; la daba ne pouvant pas jouer ce rôle, il mit son bras et l'enfonça jusqu'à l'épaule dans le but de saisir la queue du rat et de l'entrainer à l'extérieur du tronc pour mettre fin à ses jours. Il toucha l'animal qui recula. Kontourè devint nerveux. Il remit son bras encore un peu plus profondément. Et c'est à ce moment qu'il sentit une douleur atroce au niveau du doigt. Il retira rapidement sa main qu'il trouva tout ensanglantée. À la vue du sang, Kontourè déballa la colline caillouteuse que l'on connaît à nos collines, d'où il creusait son rat, courant comme sur une piste aménagée, en criant, et en appelant au secours. A ses dires, on pouvait l'entendre à plus d'un kilomètre à la ronde, à tel point ses cris étaient perçants. Il disait à qui il rencontrait qu'un serpent venait de le mordre, et chez nous, quand un serpent vous mord, la mort n'est plus un rapport. Quand il arriva enfin à la maison, toujours en pleurs, ses frères le prièrent de se calmer et de leur expliquer. Mais Kontourè n'avait, ce jour-là, guère le temps de se calmer. Ils demandèrent s'il a fermé le trou qu'il creusait, mais hélas Kontourè voyait sa mort très proche et continuait à pleurer. La nuit, Kontourè ne ferma pas l'œil. Son doigt lui faisait mal et la mort rôdait dans les parages. Au petit matin, son frère armé d'un fusil à poudre, accompagné de notre ami arrivèrent au niveau du trou. Son frère mit un bâton et remua. Il sentit que le trou était habité. Alors, il arma son fusil, le mit dans le creux du tronc d'arbre et tira. Quelques minutes après, un chat sauvage tomba du tronc. Kontourè appris à ses dépens que tous poils n'est pas poils de "rat voleur" et fut heureux de savoir que toute morsure n'est pas forcément une morsure de serpent. Aujourd'hui encore, Kontourè ne met plus son doigt dans un trou, fut-il habité par un "rat voleur".
KAMBOU Benjamin.